Les 2 cerisiers

Posted on 26 décembre 2015

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les 2 cerisiers (2)

Si tu cherches, tu es loin.

S’il te plaît, ne tue pas une fleur avec un nom. Nous cherchons tant dans de nombreux ailleurs que nous avons oublié notre monde et notre demeure. Nous voyons plus, nous voulons meilleur ou simplement nous voulons autre chose mais personne d’autre que moi ne peut habiter mon monde. Personne d’autre que moi ne peut exister dans ce corps, personne d’autre que moi ne peut vibrer dans cet esprit, personne d’autre que moi ne peut vivre dans cette demeure.
Et je ne puis vivre en la demeure de quelqu’un d’autre, ni vibrer dans l’esprit de quelqu’un d’autre, ni exister dans un autre corps, ni habiter le monde d’un autre être, alors, où suis-je?
Si tu cherches, tu es loin. Si tu tournes le dos à ton monde et à ton histoire, alors, tu as violemment séparé le ciel de la terre. Ne dis pas : « ceci est une fleur ».
Lorsque nous nous détournons de nous, lorsque nous partons en quête d’ailleurs fait d’illusions, lorsque nous tournons le dos à notre merveilleuse demeure, si belle, si juste, nous ressemblons aux deux cerisiers de Hanshin.
Il y avait deux cerisiers qui avaient poussé loin l’un de l’autre et qui depuis l’âge du bourgeon s’étaient pris d’amour. Ils passaient leurs jours à se regarder de loin, ne pouvant se toucher, partagés entre la merveille de l’amour et le déchirement de la séparation.
Leur amour était aussi beau que leurs floraisons étaient les plus belles qu’on n’ait jamais vues. Leur amour était aussi fort, à arracher des larmes au ciel et leur détresse de ne pouvoir se toucher aussi puissante de faire trembler la terre.
L’univers tout entier s’est pris de compassion pour les deux cerisiers de Hanshin. Alors on fit tout le possible pour qu’ils se rapprochent et qu’ils puissent, ne serait-ce qu’une fois, se toucher. Le ciel gronda violemment, faisant trembler les branches et les feuillages, secouant dans la tempête, pour qu’ils puissent se toucher mais ce ne fut pas suffisant.
Les cerisiers levèrent les yeux vers le ciel, désolés, le ciel fut triste et dévasté. Les nuages alors se mirent à voltiger dans des va-et-vient puissants, dans l’effort de porter les branches de l’un vers les branches de l’autre pour qu’ils puissent se toucher mais ce ne fut pas suffisant. Les cerisiers demeurèrent tristes, les nuages aussi. Alors le vent décida de déclencher la tempête, une tempête tellement puissante que les troncs mêmes, vaillants et robustes des cerisiers se courbèrent en essayant de se toucher mais même le vent puissant et la tempête ne purent y parvenir.
Les cerisiers demeurèrent tristes, le vent s’en alla, dévasté. Alors ce fut au tour de la terre de trembler, de rugir, et de toute sa force et de tout son élan, elle s’ébranla pour que les deux arbres qui cherchaient l’un la présence de l’autre depuis tellement longtemps puissent enfin se toucher et voilà que la terre s’ouvrant, elle révéla la merveille enfouie depuis longtemps, alors qu’ils avaient tant essayé de s’atteindre par les branches et par les fleurs, depuis toujours ils étaient noués dans leurs racines.
O toi, qui est assis ici, ne cherche pas l’ailleurs du vent de la tempête, des nuages, regarde dans la terre de tout le monde, cette terre de ton monde, tout est déjà, depuis toujours relié.
Si tu cherches, tu es loin.
Mais si tu plonges dans la terre de ta présence et de ton histoire, tout s’embrasse et s’étreint déjà.

Kusen donné par maître Federico Dainin Jôkô durant la sesshin d’automne

 

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